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CHAMPIGNY
Des loups dans l'Yonne Remerciements à M. Bézanger |
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Ce texte, publié dans le numéro
d'août-septembre 1952 du Plaisir de la Chasse, est reproduit avec
l'aimable autorisation des Editions Crépin-Leblond, que nous remercions
chaleureusement
Editions Crépin-Leblond 14, rue du Patronage Laïque 52000 Chaumont
http://www.graphycom.com - crepin-leblond@graphycom.com
Pasteur,
dans une communication présentée à l'Académie des
Sciences, le 12 avril 1886, fait mention d'un loup
enragé, abattu aux environs d'Avallon le 12 mai 1811. Ce loup avait fait
dix-sept victimes, dont la plupart
mordues les 11 et 12 mai, succombèrent "en état complet d'hydrophobie",
comme l'écrit le Sous-préfet
d'Avallon, les 24, 27, 30, 31 mai et les 3, 4, 5, 7, 10, 11 et 25 juin.
Le dossier concernant cette affaire fait partie d'une liasse volumineuse des
Archives de l'Yonne concernant la
destruction des loups dans le département, de l'an IX à 1812.
On y trouve aussi par année le nombre des loups
détruits, la liste des primes distribuées, et çà
et là, d'horrifiques récits, comme ceux que l'on faisait aux veillées,
où il est question de loups "dévorateurs", de bêtes
monstrueuses ou fantastiques, d'enfants et de bergers croqués
comme autant de nouveaux Chaperons Rouges, de mères éplorées
et bien entendu, de l'intrépidité de M. le
Maire, de M. l'Adjoint, du garde-champêtre et de quantité d'autres
courageux sauveteurs.
Quelles que soient les exagérations inspirées par la peur ou le
désir de se faire valoir, on ne peut manquer d'être
frappé du nombre relativement considérable de loups qui sévissaient
encore dans notre région, à cette époque, et
non seulement aux abords des forêts ou en certains points particulièrement
isolés, mais aux portes mêmes des
villes et par exemple, près d'Auxerre, en Sainte-Nitasse ou sur la route
de Monéteau. Le total des loups, louves,
ou louveteaux tués dans l'Yonne en l'an IX s'élève à
134. Une instruction préfectorale du 20 frimaire an XII
recommande la noix vomique de préférence à toute autre
drogue pour l'empoisonnement des loups.
Le 12 frimaire an XIII, le maire de Germigny écrit au Préfet :
"Nous sommes infestés de loups, la forêt de
Pontigny en est remplie, ils viennent dans les villages voisins, on en voit
10 ensemble. Il y a eu 4 chevaux de
dévorés l'année dernière dans la commune de Rebourseaux,
2 dans celle de Soumaintrain, etc... L'accident de
loups enragés arrivé l'année dernière dans le département
de l'Aube, où treize personnes sont mortes enragées,
fait craindre qu'il en arrive autant dans le nôtre…".
Un loup présumé enragé est tué le 16 germinal an
XIII par le sieur Prix Girault, artiste vétérinaire à Lain,
après
avoir blessé plusieurs personnes. Le maire de Lalande écrit deux
jours plus tard : "Tous nos environs sont
infestés de ces animaux ; chaque jour est marqué par quelque nouvelle
perte... Un loup enragé a été tué la
semaine dernière dans la commune de Lain après avoir déchiré
trois personnes, plusieurs chiens enragés ont été
vus dans les environs. Un entre autres tué sur cette commune a été
enterré avec trop peu de précautions et a été
probablement dévoré par des loups qui deviendront enragés
à leur tour…". Le maire de Lalande écrit au Préfet
à
la même date : "Mon cher ami, il est certain que les loups nous dévoreront,
si tu ne viens à notre secours...".
En 1806, Jean Jobard, d'Aisy-sur-Armançon, se plaint de n'avoir pas touché
la moindre prime pour 6 louves et 20
loups qu'il a détruits de l'an VII à l'an XIV.
Le Préfet signale au Ministre de l'Intérieur, le 19 juin 1807
: "Plusieurs villages de l'arrondissement d'Auxerre
sont infestés de loups affamés. Un de ces animaux a mis en pièces
le 13 de ce mois, un enfant de 8 à 9 ans qu'il a
dévoré presque en entier. Lorsque les restes de ce malheureux
enfant ont été apportés à son domicile, sa mère
est morte d'effroy à l'instant même...". C'est au bois du
Tramblat, près de Vau du Puits, hameau de Sacy, que
l'enfant avait été surpris par le "monstre furieux",
comme l'écrit M. Dechâteauvieux, sous-préfet d'Avallon,
qui
précise : "Depuis ce moment, la terreur existe sur ce point du département
et il n'est pas de conte plus ou moins
absurde que ne se plaisent à répandre sur ce fait la faible crédulité
d'un côté et la malveillance de l'autre...".
Le 14 août 1807, le maire de Saint-Florentin signale que des loups viennent
jusqu'aux portes de la ville, ils ont
tué trois bêtes asines à un de nos meuniers... Le nommé
Jean Couillard a tué une louve "monstrueuse" dans la
nuit du 11 au 12.
En 1808, un nommé Fleurot, de Saint-Leger-Vauban, est attaqué
par un loup. Chemin faisant, écrit le maire,
Fleurot a fait rencontre d'un loup peu ordinaire, qui depuis plusieurs jours
rôdait au lieu dit de Bon Rupt. Ce loup
l'a terrassé, lui a levé le crâne, mangé les yeux,
mangé le gras des jambes. Quoiqu'il en soit, lorsqu'il a été
trouvé,
il causait encore, car lorsqu'on lui a demandé qui l'avait arrangé
de la sorte, il a répondu que c'était un loup.
Le 30 novembre de la même année, Moreau-Dufourneau, desservant
de la paroisse de Champigny, rend compte
au Préfet d'un "événement aussi fâcheux que
malheureux", dit-il, qui s'est passé deux jours plus tôt :
"Et je vous
en préviens avec d'autant plus de plaisir et d'empressement, continue
le digne curé, qu'il m'est doux de faire
connaître le zèle et l'intelligence avec lesquels MM. les Maire
et Adjoint de cette commune se sont conduits en
cette circonstance, et particulièrement le courage mâle et héroïque
qu'ont déployé le jeune Garenne, victime de
l'événement, et le fils cadet de M. le Maire, le jeune Bezanger,
à qui la commune est redevable d'être délivrée du
monstre furieux, qui pouvait y faire tant de mal.
Voici le fait. Avant-hier, lundy dernier, 28 du courant, sur les onze heures
du matin, le jeune Garenne gardoit
sur les usages de la commune, un troupeau de 4 à 500 bêtes à
laine. Ce jeune homme, âgé de 11 à 12 ans, armé
d'une simple houlette et accompagné de 3 chiens, voit sortir du bois
un loup énorme et qu'on a eu lieu de
présumer enragé. Ce jeune homme, loin de s'effrayer et comme un
nouveau David, va à la rencontre du Goliath
moderne, précédé de ses chiens. Le loup en tue un sur-le-champ,
fond sur le troupeau, dont il égorge 4 à 5 bêtes
et disperse le reste. L'animal furieux se jette sur le jeune homme, le renverse,
et lui déchire la joue droite, après
lui avoir fait plusieurs trous dans la tête. Le croyant mort, il le quitte
pour retourner au troupeau, dont il blesse
encore une vingtaine de bêtes.
Le jeune homme se relève, quoique nageant dans son sang et pour défendre
et sauver son troupeau, s'il le peut, il
frappe l'animal de sa houlette. Il en est assailli et renversé une deuxième
fois et traîné par la laisse avec laquelle
il fixoit ses chiens auprès de lui, il en est foulé et mordu en
tous les sens impitoyablement...
L'attention du maire et de l'adjoint, qui présidaient non loin de là
à la réparation des chemins, est finalement
attirée par les cris de plusieurs femmes et enfants qui revenaient de
ramasser du bois mort. Une de ces femmes
est blessée par le loup, qui est tué enfin de deux coups de fusil
par le jeune Bezanger, fils du maire.
Et moi, continue l'excellent curé, je visite les blessés pour
leur offrir avec les consolations de la religion, les
premiers secours, tels que les indique M. Tissot. J'ai dit la messe de Saint
Hubert et j'ai béni les pains...".
Il serait fastidieux de multiplier de tels récits et téméraire
au surplus de prétendre rivaliser de verve et de style
avec l'incomparable Moreau-Dufourneau. Signalons toutefois pour finir, le cas
de deux petites filles sauvées à
200 m. de Monéteau, en juillet 1809, par Lenoir, adjoint de la commune
de Seignelay, d'un loup, qu'on nous
décrit comme "une bête de grosseur, et de stature extraordinaires
et inconnues jusqu'alors dans ces contrées", et
relisons quelques lignes d'une lettre du maire de Coulanges-sur-Yonne, dont
le récit s'apparente par le décor et la
mise en scène qu'elle décrit (de pauvres gens faisant des fagots,
des enfants à demi abandonnés dans les bois), à
tant de contes qui ont effrayé ou ému notre enfance.
"...Samedi dernier 24 de ce mois (juin 1809), elle et son mari étaient
occupés à faire des fagots dans un bois qui
avoisine celui des Monts-Leduc, près de Clamecy ; ils aperçoivent
environ les quatre heures du soir, un loup
venant à eux, dont l'allure et la démarche leur parut extraordinaire.
Ayant amené avec eux les deux derniers de
leurs enfants, l'un âgé de 8 à 9 ans et l'autre de 5, qui
dans ce moment, se trouvaient éloignés d'eux d'environ 50
pas, ils crurent ne devoir point effrayer le loup dans la crainte d'épouvanter
leurs enfants. Ce loup les ayant
vraisemblablement aperçus, fit un détour et se déroba à
leur vue, à la faveur de deux à trois buissons. Et dans le
même moment, ils entendent la voix de l'aîné qui leur crie
qu'un loup dévore son frère.
A ce cri d'effroi, le père arrive, sa serpe à la main, il trouve
l'enfant étendu, le visage contre terre, baignant dans
son sang et le loup auprès de lui, observant les mouvements du père
; l'enfant moitié dévoré reconnaissant la
voix de son père, lui crie de le secourir.
Le père, sa serpe à la main, fond sur le loup. Son premier coup
porte à faux. Le loup à son tour s'élance sur ce
malheureux père, le saisit à la cuisse gauche et le renverse.
Couché par terre, il saisit le loup à la gorge et la lui
presse si vigoureusement qu'il lui fait perdre respiration, le force à
ôter ses dents de sa cuisse et le tenant encore
d'une main à la gorge, de l'autre, lui décharge un coup si violent
de sa serpe, sur la tête, qu'il lui partage le
crâne. A ce coup, le loup pousse deux à trois hurlements et expire.".
Depuis, les loups ont complètement disparu de nos forêts et nous
apparaissent aujourd'hui comme des bêtes
quasi fabuleuses. Ces événements ne sont pourtant pas si loin
de nous et on s'explique plus facilement pourquoi
les loups et les histoires de loups occupent tant de place dans notre folklore.
Si l'on souhaitait retrouver des témoignages plus anciens, il suffirait
de relire les pages que M. Léon Foin a
consacrées, sous le titre "Une bête du Gévaudan dans
l'Auxerrois", aux méfaits d'un loup qui dévora, de 1731 à
1734, plus de trente personnes appartenant aux paroisses de Trucy, Bazarnes,
Mailly-la-ville, Le Val-de-Mercy,
Vincelles, Migé, Festigny, Fouronnes et Festigny. Malgré les battues
qui furent faites, avec le concours de tous
les habitants du voisinage, l'appui des archers de la maréchaussée
d'Auxerre, le concours des officiers et des
meutes de la vénerie du roi, la bête resta introuvable et ne reparut
plus après décembre 1734.
On lira également le curieux témoignage rapporté par l'abbé
Pissier, dans son histoire de Tharoireau, tel qu'il est
consigné dans les anciens registres paroissiaux conservés à
la mairie de cette commune ; témoignage
particulièrement précieux et suggestif, parce qu'il ne se borne
point à énumérer les méfaits réels d'une
bête
extraordinairement féroce et sanguinaire, il nous révèle
les effets de la peur sur les natures naïves et
superstitieuses. Au moment où le redoutable animal tombe enfin sous les
balles des chasseurs, une légende s'est
déjà formée : ce n'est plus un simple loup, ni même
un monstre invulnérable, c'est un "magicien".
" En 1761, un nommé Renaut, de Basoche, fils du chirurgien de campagne
Renaut, mit à mort un loup qui depuis
cinq à six ans dévoroit les enfants qui étoient à
la garde des troupeaux. La populace qui donne ordinairement
dans les choses fabuleuses, s'imaginoit que c'étoit un magicien ; mais
cet animal féroce aïent dévoré un enfant à
Domecy-sur-Chore, près le cimetière, un jour de dimanche, en aïant
, le même jour dévoré un autre à
Neufontaine, et blessé un troisième à Vauban, paroisse
de Basoche, le peuple, malgré la vaine opinion où il
étoit, s'attroupa enfin et fut assez heureux pour l'enfermer dans un
bois dépandant de la Chartreuse du Val-
Saint-Georges, situé entre Vigne et Vauban, où il fut tué.
Sa mort détrompa pleinement le peuple, et l'on
reconnut que c'étoit un loup ordinaire qui s'étoit accoutumé
à vivre de chair humaine...".
HENRI FORESTIER,
Archiviste en chef de l'Yonne
Texte reproduit par Cheny mon Village http://www.cheny.net avec
l’aimable autorisation du Plaisir de la Chasse
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Pas de rapport avec Champigny,
mais intéressant pour les ferroviphiles et ceux intéressés par l'électricité et l'électronique
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